Le projet de loi antipiratage (dite « loi Hadopi », du nom de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet), inspiré des conclusions du rapport Olivennes, ne
fait toujours pas l’unanimité. Le projet de loi prévoit d’instaurer le principe de « riposte graduée » : après plusieurs avertissements, l’internaute pris la main dans le téléchargement illégal verrait son abonnement coupé (tout en continuant à le payer). Alors que les acteurs du web ont fait part de leur mécontentement face à l’avant-projet de loi, c’est cette foi l’Arcep, le régulateur des télécoms, qui monte au créneau. Selon les Echos du 28 mai, l’autorité de régulation a rendu au gouvernement un « avis qui critique plusieurs aspects du projet de loi ».
L’Arcep signale ainsi que la loi Hadopi risque de se mettre en contradiction avec des textes existants,
notamment en ce qui concerne l’accès à la téléphonie : avec les offres « Triple-Play » (Internet, télévision et téléphone) offertes par la plupart des fournisseurs d’accès, une coupure de l’abonnement Internet équivaudrait à une coupure de téléphone. Or, l’Arcep rappelle que les fournisseurs d’accès à Internet doivent « assurer de manière permanente et continue l’exploitation des services de communications et [...] garantir un accès ininterrompu aux services d’urgence. A défaut, le FAI s’exposerait à des sanctions administratives et pénales. »
Autre souci, toujours du côté des FAI : l’Arcep fait remarquer que les fournisseurs devront engager des frais supplémentaires pour stocker les données de connexion des abonnés, ce qui est exigé par le projet de loi Hadopi, sans pour autant percevoir de compensation. Selon l’Arcep, ce serait contraire à la jurisprudence. Le régulateur propose donc au gouvernement de « prévoir le principe d’une juste rémunération ». Enfin, l’autorité de régulation demande au gouvernement l’instauration d’un délai d’application de la loi, si elle était promulguée, afin de permettre aux fournisseurs d’accès de se mettre en conformité.
Même si ces points concernent principalement des points techniques pour les fournisseurs d’accès, et non pas les internautes, premiers visés par la riposte graduée, ce rapport de l’Arcep va donner du grain à moudre aux nombreux détracteurs du projet de loi Olivennes, qui y voient un cadeau hors droit fait aux majors.
Lesquelles se sont défendues lundi, lors d’une conférence de presse à l’Olympia qui visait à dédiaboliser la loi et à répondre aux « contre-vérités » qui seraient diffusées à son propos. Le petit jeu de la vérité auquel s’est livré la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP) n’est cependant pas sans failles. La SCPP affirme ainsi que la surveillance sera limitée « aux œuvres musicales et cinématographiques, et elles seules », et que la loi Hadopi n’instaurera pas une surveillance généralisée. L’avant-projet de loi, tout comme le rapport Olivennes, disent cependant le contraire, notamment pour des raisons techniques, comme le souligne le site PC Inpact.
La SCPP affirme également que les traitements informatiques permettant l’identification des abonnés sont déjà en place et autorisés par la CNIL. C’est en partie exact, mais en partie seulement : la CNIL les avait d’abord refusé, avant d’être forcée par le conseil d’Etat de les accepter... mais pas pour l’usage prévu par la loi Hadopi. Autre « contre-vérité » : la coupure d’abonnement serait contraire aux libertés fondamentales. La SCPP indique qu’elle fait déjà procéder depuis plusieurs années à des coupures d’abonnement au net pour des cas isolés. Mais oublie de signaler que le Parlement européen a voté le mois dernier une motion s’opposant à la riposte graduée... Enfin, la SCPP indique que la Haute autorité permettra de faire de la prévention, et non plus de la répression. Là encore, c’est à moitié exact, puisqu’un internaute pourra toujours être attaqué au civil et au pénal pour contrefaçon, la riposte graduée ne dépénalisant pas pour autant le téléchargement illégal.
Pour étayer son propos, la SCPP s’appuie sur un pratique sondage commandé spécialement à l’institut Ipsos : 74 % des Français seraient ainsi favorables au projet de loi antipiratage, et 90 % indiquent qu’ils arrêteraient de télécharger après deux avertissements. Du coup, l’ineffable Pascal Nègre, PDG d’Universal, fanfaronne : « Ses opposants avancent que la loi serait liberticide, que les sanctions qu’elle prévoit sont disproportionnées et inefficaces. Les Français voient les gens autrement. Les gens sont prêts à s’arrêter si on siffle la fin de la récré. » La vraie surprise du sondage, c’est cependant que, selon Ipsos, près de 80 % des sondés n’ont jamais téléchargé de contenu illégal. Un chiffre pas loin de l’absurde (une minorité serait alors responsable de l’effrondrement de l’industrie du disque) qui ne pose pas de problème d’interprétation à la SCPP. « Chaque mois qui passe, c’est 10 à 15 % de chiffre d’affaires qui s’envole pour la filière musicale », ajoute Pascal Nègre.
Le projet de loi doit être présenté le 11 juillet devant le conseil des ministres et devant le Sénat en juillet. Pendant ce temps, la pétition de SVM contre le texte de loi a recueilli près de 15 000 signatures en une semaine.