En effet, le chanteur et guitariste "crooner" (orth) a disparu hier
Ptit article du Figaro.fr
Sacha Distel, le dernier French lover
Emmanuèle Frois et Éric Biétry-Rivierre
[23 juillet 2004]
Il aimait la musique, rien que la musique. Il avait la «jazz attitude» Sacha Distel. La vie ne sera plus comme avant. Il ne nous chantera plus de «scoubidou-bidou-ah» au creux de l'oreille. Sacha Distel est mort hier des suites d'une longue maladie au Rayol-Canadel dans le Var. C'était un guitariste de premier plan qui avait accompagné les plus grands jazzmen. Il avait joué avec Armstrong, Bobby Jaspar, Clifford Brown, John Lewis, Stan Getz, Miles, Martial Solal, Jimmy Raney, Jimmy Gourley, Henri Renaud, Billy Byers, Slide Hampton, Dizzy Gillespie. Son parcours, il le considérait, à juste titre, d'une «honnêteté absolue». Alors, il en avait assez des clichés. De cette image de play-boy qu'on lui avait collée dans les années 60. «Je supporte mal l'étiquette de séducteur», confiait-il. Sa distinction naturelle, son allure d'éternel jeune homme, son sourire charmeur et ravageur lui auront joué plus d'un tour...
Sacha Distel a vu le jour à Paris dans le XVIe arrondissement, le 29 janvier 1933. Son père, russe blanc, est ingénieur chimiste, sa mère, juive et résistante, est la soeur de Ray Ventura. Ray Ventura, le nom est lancé. Essentiel. «Tout part de mon oncle. Il m'a tout appris et j'aurais tout fait pour lui.» Il débute à 17 ans comme guitariste dans son orchestre. Le premier vrai choc, c'est le concert de Gillespie en 1948. «Je prends la musique en pleine tête», confiera-t-il. En 1952, il part pour New York faire un stage d'éditeur musical. Il habite à deux pas du Birdland. «Je m'amusais énormément», confiait-il à propos de cette époque. Distel a l'élégance de ceux qui ont connu des tragédies. Le 7 février 1942, la police française arrête sa mère. Il la retrouvera après la guerre. Un miracle qui lui donnera envie de donner de la joie aux autres. En 1955, il enregistre avec Lionel Hampton French new Sound. L'année suivante, c'est Afternoon in Paris avec le Modern Jazz Quartet.
Sacha Distel avait un autre rêve, chanter. Il fait les premières parties de Juliette Gréco et devient éditeur musical. A cette occasion, il rencontre Brassens qui lui écrit une chanson, Le Myosotis. «Il m'aimait beaucoup parce que j'accordais bien sa guitare !» Son idée fixe, c'est «de chanter comme Sinatra. Or, seules marchaient mes chansons rigolotes ; celles auxquelles je tenais, on les mettait en face B.»
Le jazz lui a procuré la reconnaissance de ses pairs. Le grand public, lui, le découvre avec Brigitte Bardot et leur liaison amoureuse qui le bombarde à la une des quotidiens (en 1972, il chantera avec elle Tu es le soleil de ma vie). On cherche alors dans l'Hexagone un Sinatra, un crooner, un séducteur. Quelqu'un d'aimable... Sacha Distel n'hésite pas : il lisse son swing et plonge dans la chansonnette. Il interprète pour la première fois Scoubidou en 1958 au casino d'Alger. A l'origine, il s'agit simplement de combler un trou de cinq minutes dans le récital. Maurice Tézé a traduit Apple Peaches and Cherries (pomme, pêches et cerises) d'Allan Lewis. «Scoubidoubi-ou Ah Scoubidoubi-ou» : toute la France reprend aussitôt en choeur la bleuette. Le néologisme trouvera vite son signifié : un porte-bonheur en plastique tressé, jeu à la mode dans les cours d'école.
Sinatra ? Sacha n'en est pas si loin. Le succès de ce petit Frenchy amplifié par les postes à transistors (une révolution) est tel qu'Ed Sullivan l'invite cette année-là à participer à son show, le plus célèbre des Etats-Unis.
Suivent une série de succès faciles : Oh ! Quelle Nuit, Personnalités, Mon beau chapeau... Où son sourire fait mouche, plus que ses paroles fades.
Celui-ci intéresse et l'ORTF lui confie l'émission «Guitares et Copains», au début des années 60. L'émission va vite devenir le célèbre «Sacha Show». Véritable rendez-vous des yéyés et, plus largement encore, de toute la variété française durant une dizaine d'années.
Brigitte est partie dans d'autres bras. Sacha aussi qui épouse, en 1963, Francine Bréaud, championne de ski alpin, avec qui il aura deux garçons. L'année suivante, une obscure chanson figurant en face B d'un 45 tours, La Belle Vie, est reprise par Tony Bennett et l'ami Frank Sinatra. The Good Life est un jackpot presque au même titre que Comme d'habitude de Claude François : à ce jour on recense plus de 250 reprises dans le monde. Suivent encore Scandale dans la famille, Monsieur Cannibale, L'Incendie à Rio, Chanson bleue...
Autre performance : avec Toute la pluie tombe sur moi, qu'il chante dans sa version originale Raindrops Keep Fallin'on my Head (sur une musique de Burt Bacharach), Sacha Distel rivalise avec les rockers anglais en s'inscrivant en haut des charts anglais en 1971. Le voilà même tête d'affiche au London Palladium, au Prince of Wales Theater et même, à trois reprises, vedette de la Royal Performance devant Elisabeth II. Les plateaux télé de Grande-Bretagne se l'arrachent, il y anime aussi des variétés avec un accent qu'on trouve «so charming». Les Etats-Unis lui ouvrent à leur tour les meilleures scènes de New York ou d'Atlantic City.
En France on retient dès la première écoute Accroche un ruban, Ma première guitare, Ma femme, Le Bateau blanc, Vite chérie vite. Mais sa variété ronronne et Sacha souhaite corriger sa trajectoire. Après une brève éclipse, il réapparaît en 1983 avec un album jazz et guitare.
Dès lors il alternera les émissions de variété et ses premières amours. En 1985, il anime «La Belle Vie». Et puis, il y eut cette nuit maudite du 27 avril 1985, à 3 h 14 du matin, lorsque sa Porsche 924 Carera traverse la nationale 7 dans un virage de la Nièvre pour s'écraser contre un poteau en ciment. Sacha Distel est choqué, mais peut sortir du véhicule. Pas sa compagne d'infortune Chantal Nobel qu'il reconduisait à Nevers après son tour de chant à l'Olympia. Elle doit être désincarcérée avec des fractures multiples et des traumatismes très graves qui la plongeront dans un coma profond durant trois semaines.
Trois ans plus tard, le procès qui s'ouvre au tribunal correctionnel de Nevers ne parviendra pas à éclairer vraiment les circonstances de cet accident qui a brisé net la carrière de l'héroïne de Châteauvallon au dix-septième épisode du feuilleton. Sacha plaide qu'il ne conduisait pas vite, Chantal l'accuse d'avoir roulé à 150 km/heure et de s'être endormi au volant. Nul doute que cet épisode tragique n'ait profondément marqué le crooner et l'ancien ami de l'actrice. En 1991, il signe Dédicaces, un disque de chansons d'amour françaises et, en 1993, il rend hommage à son oncle avec un big band, des Super-Collégiens. Henri Salvador, Michel Legrand ou Stéphane Grappelli sont de la fête.
A cette époque, Sacha Distel devait déjà lutter contre un premier cancer. De la peau. Il n'hésitait pas à en parler et à le combattre ouvertement, faisant ainsi montre d'un beau courage qui, croyait-il, pouvait servir aux autres. Entre deux combats, il méditait une comédie musicale autour de Maurice Chevalier. Il remontait également souvent sur scène, comme en 2001 à Londres, cette fois pour incarner Billy Flynn dans la célèbre comédie musicale Chicago.
En 2003, la Sacem lui décerne le prix créateur interprète de la chanson française pour un double album En vers et contre vous. Outre de nouvelles compositions, le CD réunit des classiques du music-hall américain, tels My Funny Valentine ou All the Way interprété en duo avec Liza Minnelli. Même en esprit, Sinatra est toujours à ses côtés.
Hier, la première, Mireille Mathieu se déclarait bouleversée. «Je lui dois tant. Il m'a permis de chanter pour la première fois à l'Olympia, le 26 décembre 1965, dans un «Sacha Show». La débutante que j'étais ne peut oublier qu'il m'a épaulée avec beaucoup de gentillesse. Sacha Distel était le fils spirituel de Maurice Chevalier. Il était l'ambassadeur du charme et du romantisme français, en éternel jeune homme qu'il était. Son répertoire nous enchantait et on prenait des bains de jouvence en écoutant ses chansons.» Henri Salvador, lui, évoque les débuts échevelés : «C'est moi qui lui ai appris la guitare. Il m'a demandé à quoi ça servait. Je lui ai répondu que ça servait à faire tomber les filles !» Pour sa part Jacques Chirac a salué cette «grande figure de la chanson française».
La chaîne Paris Première rend hommage, ce soir à 22 h 40, à Sacha Distel en rediffusant son portrait dans l'émission Paroles et musiques.
Ptit article du Figaro.fr
Sacha Distel, le dernier French lover
Emmanuèle Frois et Éric Biétry-Rivierre
[23 juillet 2004]
Il aimait la musique, rien que la musique. Il avait la «jazz attitude» Sacha Distel. La vie ne sera plus comme avant. Il ne nous chantera plus de «scoubidou-bidou-ah» au creux de l'oreille. Sacha Distel est mort hier des suites d'une longue maladie au Rayol-Canadel dans le Var. C'était un guitariste de premier plan qui avait accompagné les plus grands jazzmen. Il avait joué avec Armstrong, Bobby Jaspar, Clifford Brown, John Lewis, Stan Getz, Miles, Martial Solal, Jimmy Raney, Jimmy Gourley, Henri Renaud, Billy Byers, Slide Hampton, Dizzy Gillespie. Son parcours, il le considérait, à juste titre, d'une «honnêteté absolue». Alors, il en avait assez des clichés. De cette image de play-boy qu'on lui avait collée dans les années 60. «Je supporte mal l'étiquette de séducteur», confiait-il. Sa distinction naturelle, son allure d'éternel jeune homme, son sourire charmeur et ravageur lui auront joué plus d'un tour...
Sacha Distel a vu le jour à Paris dans le XVIe arrondissement, le 29 janvier 1933. Son père, russe blanc, est ingénieur chimiste, sa mère, juive et résistante, est la soeur de Ray Ventura. Ray Ventura, le nom est lancé. Essentiel. «Tout part de mon oncle. Il m'a tout appris et j'aurais tout fait pour lui.» Il débute à 17 ans comme guitariste dans son orchestre. Le premier vrai choc, c'est le concert de Gillespie en 1948. «Je prends la musique en pleine tête», confiera-t-il. En 1952, il part pour New York faire un stage d'éditeur musical. Il habite à deux pas du Birdland. «Je m'amusais énormément», confiait-il à propos de cette époque. Distel a l'élégance de ceux qui ont connu des tragédies. Le 7 février 1942, la police française arrête sa mère. Il la retrouvera après la guerre. Un miracle qui lui donnera envie de donner de la joie aux autres. En 1955, il enregistre avec Lionel Hampton French new Sound. L'année suivante, c'est Afternoon in Paris avec le Modern Jazz Quartet.
Sacha Distel avait un autre rêve, chanter. Il fait les premières parties de Juliette Gréco et devient éditeur musical. A cette occasion, il rencontre Brassens qui lui écrit une chanson, Le Myosotis. «Il m'aimait beaucoup parce que j'accordais bien sa guitare !» Son idée fixe, c'est «de chanter comme Sinatra. Or, seules marchaient mes chansons rigolotes ; celles auxquelles je tenais, on les mettait en face B.»
Le jazz lui a procuré la reconnaissance de ses pairs. Le grand public, lui, le découvre avec Brigitte Bardot et leur liaison amoureuse qui le bombarde à la une des quotidiens (en 1972, il chantera avec elle Tu es le soleil de ma vie). On cherche alors dans l'Hexagone un Sinatra, un crooner, un séducteur. Quelqu'un d'aimable... Sacha Distel n'hésite pas : il lisse son swing et plonge dans la chansonnette. Il interprète pour la première fois Scoubidou en 1958 au casino d'Alger. A l'origine, il s'agit simplement de combler un trou de cinq minutes dans le récital. Maurice Tézé a traduit Apple Peaches and Cherries (pomme, pêches et cerises) d'Allan Lewis. «Scoubidoubi-ou Ah Scoubidoubi-ou» : toute la France reprend aussitôt en choeur la bleuette. Le néologisme trouvera vite son signifié : un porte-bonheur en plastique tressé, jeu à la mode dans les cours d'école.
Sinatra ? Sacha n'en est pas si loin. Le succès de ce petit Frenchy amplifié par les postes à transistors (une révolution) est tel qu'Ed Sullivan l'invite cette année-là à participer à son show, le plus célèbre des Etats-Unis.
Suivent une série de succès faciles : Oh ! Quelle Nuit, Personnalités, Mon beau chapeau... Où son sourire fait mouche, plus que ses paroles fades.
Celui-ci intéresse et l'ORTF lui confie l'émission «Guitares et Copains», au début des années 60. L'émission va vite devenir le célèbre «Sacha Show». Véritable rendez-vous des yéyés et, plus largement encore, de toute la variété française durant une dizaine d'années.
Brigitte est partie dans d'autres bras. Sacha aussi qui épouse, en 1963, Francine Bréaud, championne de ski alpin, avec qui il aura deux garçons. L'année suivante, une obscure chanson figurant en face B d'un 45 tours, La Belle Vie, est reprise par Tony Bennett et l'ami Frank Sinatra. The Good Life est un jackpot presque au même titre que Comme d'habitude de Claude François : à ce jour on recense plus de 250 reprises dans le monde. Suivent encore Scandale dans la famille, Monsieur Cannibale, L'Incendie à Rio, Chanson bleue...
Autre performance : avec Toute la pluie tombe sur moi, qu'il chante dans sa version originale Raindrops Keep Fallin'on my Head (sur une musique de Burt Bacharach), Sacha Distel rivalise avec les rockers anglais en s'inscrivant en haut des charts anglais en 1971. Le voilà même tête d'affiche au London Palladium, au Prince of Wales Theater et même, à trois reprises, vedette de la Royal Performance devant Elisabeth II. Les plateaux télé de Grande-Bretagne se l'arrachent, il y anime aussi des variétés avec un accent qu'on trouve «so charming». Les Etats-Unis lui ouvrent à leur tour les meilleures scènes de New York ou d'Atlantic City.
En France on retient dès la première écoute Accroche un ruban, Ma première guitare, Ma femme, Le Bateau blanc, Vite chérie vite. Mais sa variété ronronne et Sacha souhaite corriger sa trajectoire. Après une brève éclipse, il réapparaît en 1983 avec un album jazz et guitare.
Dès lors il alternera les émissions de variété et ses premières amours. En 1985, il anime «La Belle Vie». Et puis, il y eut cette nuit maudite du 27 avril 1985, à 3 h 14 du matin, lorsque sa Porsche 924 Carera traverse la nationale 7 dans un virage de la Nièvre pour s'écraser contre un poteau en ciment. Sacha Distel est choqué, mais peut sortir du véhicule. Pas sa compagne d'infortune Chantal Nobel qu'il reconduisait à Nevers après son tour de chant à l'Olympia. Elle doit être désincarcérée avec des fractures multiples et des traumatismes très graves qui la plongeront dans un coma profond durant trois semaines.
Trois ans plus tard, le procès qui s'ouvre au tribunal correctionnel de Nevers ne parviendra pas à éclairer vraiment les circonstances de cet accident qui a brisé net la carrière de l'héroïne de Châteauvallon au dix-septième épisode du feuilleton. Sacha plaide qu'il ne conduisait pas vite, Chantal l'accuse d'avoir roulé à 150 km/heure et de s'être endormi au volant. Nul doute que cet épisode tragique n'ait profondément marqué le crooner et l'ancien ami de l'actrice. En 1991, il signe Dédicaces, un disque de chansons d'amour françaises et, en 1993, il rend hommage à son oncle avec un big band, des Super-Collégiens. Henri Salvador, Michel Legrand ou Stéphane Grappelli sont de la fête.
A cette époque, Sacha Distel devait déjà lutter contre un premier cancer. De la peau. Il n'hésitait pas à en parler et à le combattre ouvertement, faisant ainsi montre d'un beau courage qui, croyait-il, pouvait servir aux autres. Entre deux combats, il méditait une comédie musicale autour de Maurice Chevalier. Il remontait également souvent sur scène, comme en 2001 à Londres, cette fois pour incarner Billy Flynn dans la célèbre comédie musicale Chicago.
En 2003, la Sacem lui décerne le prix créateur interprète de la chanson française pour un double album En vers et contre vous. Outre de nouvelles compositions, le CD réunit des classiques du music-hall américain, tels My Funny Valentine ou All the Way interprété en duo avec Liza Minnelli. Même en esprit, Sinatra est toujours à ses côtés.
Hier, la première, Mireille Mathieu se déclarait bouleversée. «Je lui dois tant. Il m'a permis de chanter pour la première fois à l'Olympia, le 26 décembre 1965, dans un «Sacha Show». La débutante que j'étais ne peut oublier qu'il m'a épaulée avec beaucoup de gentillesse. Sacha Distel était le fils spirituel de Maurice Chevalier. Il était l'ambassadeur du charme et du romantisme français, en éternel jeune homme qu'il était. Son répertoire nous enchantait et on prenait des bains de jouvence en écoutant ses chansons.» Henri Salvador, lui, évoque les débuts échevelés : «C'est moi qui lui ai appris la guitare. Il m'a demandé à quoi ça servait. Je lui ai répondu que ça servait à faire tomber les filles !» Pour sa part Jacques Chirac a salué cette «grande figure de la chanson française».
La chaîne Paris Première rend hommage, ce soir à 22 h 40, à Sacha Distel en rediffusant son portrait dans l'émission Paroles et musiques.