LE PROCHAIN DEPART DE JEAN-MARTIN FOLZ MET LE CONSTRUCTEUR AU PIED DU MUR
Les cinq défis que Peugeot doit relever pour convaincre la Bourse
L'annonce soudaine du départ à la retraite de Jean-Martin Folz, qui quittera la présidence de PSA Peugeot Citroën début 2007, a surpris les marchés financiers. Elle intervient à un moment délicat pour le groupe, qui doit dévoiler un plan de relance très attendu. En effet, malgré des modèles attrayants et une base de coûts de production en constante amélioration, Peugeot se trouve confronté à une nette dégradation de sa rentabilité. Les espoirs de reprise restent intacts pour 2007 à condition que les nouvelles mesures qui doivent être annoncées soient à la hauteur des défis qui attendent le groupe et que la question de la succession de Jean-Martin Folz soit rapidement tranchée.
par JEROME MARMET
Malgré un sérieux coup de frein cette année, le constructeur n'a pas démérité
Faut-il voir dans l'annonce surprise du prochain départ de Jean-Martin Folz la conséquence des mauvais résultats financiers enregistrés par le constructeur automobile au cours du premier semestre ? Y a-t-il eu frictions avec la famille Peugeot à propos de la stratégie ? « Une décision prise de longue date par Jean-Martin Folz, qui considère que la bonne durée d'exercice pour des postes très opérationnels comme le sien est de dix ans », répond-on au sein du groupe. Il n'empêche que ce départ peut paraître précipité alors qu'aucun successeur n'avait été désigné et que l'actuel patron de PSA Peugeot Citroën avait été renouvelé dans ses fonctions pour six ans, en avril 2004.
Ce remaniement intervient alors même que le constructeur traverse une passe difficile, comme en attestent le recul de ses ventes en Europe occidentale et la chute de 70 % du bénéfice opérationnel de la seule branche automobile, à 227 millions d'euros, au cours du premier semestre. Un sérieux coup de frein qui ne doit pas faire oublier la profonde mutation du groupe ni sa formidable croissance depuis l'arrivée de Jean-Martin Folz en octobre 1997. Sur cette période, la production est passée de 2,1 millions de voitures, à plus de 3,4 millions d'euros, et Peugeot s'est imposé comme le deuxième constructeur européen derrière Volkswagen. Et, l'an dernier, il pouvait s'enorgueillir d'être encore le constructeur généraliste le plus rentable d'Europe.
Par ailleurs, le patron de PSA a conduit avec succès une politique d'indépendance en mettant en place, au début des années 2000, des plates-formes communes aux deux marques du groupe (Peugeot et Citroën) - ce qui permet d'assembler plusieurs véhicules sur la même chaîne de production, avec à la clé une économie moyenne de 600 millions d'euros par an. Il a aussi multiplié les coopérations industrielles avec d'autres constructeurs (Fiat dans les utilitaires et les monospaces, Ford dans les moteurs Diesel ou encore Mitsubishi pour la fabrication de véhicules 4x4).
A l'horizon de 2008, ce sont plus de 500.000 véhicules et près de 2,5 millions de moteurs qui seront fabriqués dans le cadre de ces accords. Depuis la mi-2004, PSA Peugeot Citroën a aussi fortement accéléré le rythme de lancement de ses nouveaux modèles afin de rajeunir l'âge moyen de la gamme à 3,3 ans à l'horizon de 2008. Toutes marques confondues, 26 nouveaux modèles ont été mis sur le marché entre 2003 et 2006 ; autant que ce que Renault a prévu pour les trois prochains exercices. Lancée au mois d'avril, la Peugeot 207 a ainsi la mission de faire aussi bien que la 206, qui, avec 5,5 millions d'exemplaires vendus, a été le plus grand succès de la marque. Parmi les prochains lancements figurent notamment la nouvelle Xsara Picasso au second semestre et la nouvelle mouture de la Peugeot 307 en 2007. D'ici à la fin de l'année prochaine, les deux tiers de la gamme auront été renouvelés, dont l'intégralité de l'offre d'entrée de gamme.
Malheureusement, tous les nouveaux modèles lancés en 2005 n'ont pas connu le succès escompté, en particulier le monospace à portes coulissantes 1007.
Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, les ventes de PSA en Europe occidentale ont reculé de 2,1 % en 2005, et sont en repli de 0,7 % sur les six premiers mois de l'année. Cette contre-performance s'explique par un refus de se lancer dans la course aux promotions - le groupe privilégiant la rentabilité aux volumes -, mais aussi par l'arrivée en fin de vie de certains modèles (206, Xsara Picasso...).
La part de marché de PSA est ainsi tombée à 14 %, contre 14,5 % au premier semestre 2005. Dans le même temps, la marge opérationnelle, plombée notamment par le coût plus important des matières premières (acier, métaux ferreux, matières plastiques...), est en chute libre, à 2,4 % du chiffre d'affaires.
Dans un contexte aussi difficile, les mesures de relance qui seront annoncées dans les prochains jours prennent une importance accrue.
La famille Peugeot (30 % du capital) ayant conforté Jean- Martin Folz dans ses choix stratégiques en fin d'année dernière, il ne faut pas attendre de changements stratégiques majeurs. Le problème tient plutôt à l'application de la politique définie par le groupe.
Car, pour atteindre ses objectifs à moyen terme - vendre 4 millions de véhicules par an, contre 3,4 millions l'an dernier, et dégager 6 % de marge opérationnelle le plus rapidement possible, faute de calendrier précis - Peugeot ne pourra sans doute pas se contenter d'un plan minimaliste.
La Bourse veut croire à un nouvel élan, mais le cours reste sous pression
> Echaudés par l'alerte sur les résultats lancée à deux reprises depuis le début de l'année par le management, les marchés financiers ont réagi de manière positive à l'annonce du départ de Jean-Martin Folz. Le titre a rebondi de 3,5 % le vendredi 8 septembre. En effet, ce départ est perçu comme un signal fort de changement pour de nombreux investisseurs, qui veulent croire à un nouvel élan. Certains vont même jusqu'à parier sur un changement de stratégie radical, ce qui nous paraît peu probable à court terme. Quoi qu'il en soit, l'attitude de la famille Peugeot, qui détient 30 % du capital et 40 % des droits de vote, sera déterminante. A commencer par le choix, avant la fin de cette année, du nouveau patron. En interne, les noms du directeur de la stratégie industrielle et des achats, Gilles Michel, ainsi que des patrons respectifs des marques Peugeot et Citroën, Frédéric Saint-Geours et Claude Satinet, circulent, mais les pronostics penchent pour un recrutement venu de l'extérieur. Cette décision sera décisive, quand on voit la confiance aveugle que le marché peut accorder à certains dirigeants charismatiques, comme Carlos Ghosn chez Renault. Au cours actuel, l'action Peugeot reste l'une des moins chères du secteur automobile, puisqu'elle capitalise moins de 5 fois les bénéfices 2006 et décote de près de 20 % par rapport aux fonds propres.
International, rentabilité, périmètre du groupe : les priorités du successeur de Jean-Martin Folz
1 Poursuivre l'effort de conquête à l'international
Si Peugeot compte renouer au second semestre avec une croissance de ses volumes en Europe occidentale, c'est bien hors d'Europe que se trouve le principal moteur de la croissance. Parti très tôt à la conquête de nouveaux débouchés en Europe de l'Est, en Asie et en Amérique du Sud, Peugeot doit continuer à pousser ses pions dans les pays émergents (30 % des ventes l'an dernier, contre 17 % en 2000). Mais ces développements à l'international ne vont pas sans heurts, comme en témoignent les difficultés conjoncturelles rencontrées en Chine et en Amérique du Sud, où le groupe ne gagne pour l'instant pratiquement pas d'argent. En Chine, la montée en puissance de la marque Peugeot après sa réintroduction en 2004 ainsi que la bonne tenue des ventes de Citroën ont néanmoins permis à la coentreprise DPCA, détenue à 50 % par PSA, de renouer avec une forte croissance et de contribuer à nouveau aux bénéfices depuis le second semestre 2005. Aidé par le redémarrage des marchés automobiles au Brésil et en Argentine et par les lancements réussis des Peugeot 307 et de 206 SW, l'équilibre financier doit être atteint en Amérique du Sud au plus tard en 2007. Toutefois, le vrai défi sera de combler l'écart de rentabilité avec l'Europe occidentale, où le groupe gagne en moyenne 1.000 euros de plus par véhicule vendu.
2 Redresser les marges et les résultats financiers
Comment enrayer la chute de la rentabilité ? Cette question centrale taraude tous les investisseurs. Et pour cause, en l'espace de trois ans, la marge opérationnelle s'est nettement dégradée. Tombée à 2,4 % au premier semestre 2006, contre 4,4 % un an plus tôt, elle ne s'améliorera pas sur la seconde partie de l'année, contrairement aux attentes initiales de la direction. La faute essentiellement au surcoût des matières premières (460 millions d'euros au total en 2006), auquel il faut ajouter le coût des nouvelles normes antipollution Euro IV (450 millions d'euros), ou encore l'impact négatif des retraitements IFRS. Dans ces conditions, l'objectif d'une marge opérationnelle de 6 % à une date non précisée - alors que Renault compte y parvenir en trois ans - n'est pas gagné. Il passe obligatoirement par des lancements réussis de modèles inédits et par des économies de coûts supplémentaires. Quant au bénéfice net, il devrait diminuer pour la deuxième année consécutive et passer de 1,03 milliard d'euros à 870 millions, selon nos propres estimations. Cela dit, PSA n'est pas en crise et dégage toujours des cash-flows qui couvrent largement ses investissements industriels.
3 Optimiser les capacités de production
500 euros d'économie en moyenne sur un véhicule fabriqué en Europe de l'Est. On comprend mieux pourquoi le centre de gravité du dispositif industriel du constructeur français se déplace dans les pays d'Europe de l'Est (les sites de Trnava, en République tchèque, et de Kolin, en Slovaquie, assemblent la Peugeot 207). Au cours des cinq dernières années, 20 % des capacités de production (soit 700.000 unités) ont été transférées dans les pays d'Europe de l'Est. Cette réorganisation industrielle n'est pas terminée, et ses effets devraient se faire sentir à mesure des lancements des nouveaux modèles. Peugeot peut donc tabler sur des économies substantielles sur ses coûts de production, sans doute bien supérieures à son objectif annuel de 600 millions d'euros. Pour l'heure, en dehors du site britannique de Ryton, le constructeur ne prévoit pas de fermeture d'usine supplémentaire en Europe de l'Ouest, mais il n'est pas impossible qu'il revoit sa position, surtout si la conjoncture continue à se dégrader.
4 Développer les plates-formes communes et les coopérations
Sauf à envisager une alliance avec un autre constructeur, et donc à renoncer à la stratégie d'indépendance si chère à la famille Peugeot, PSA doit mener à son terme l'ambitieuse stratégie de plates-formes communes. L'objectif est de déployer une dizaine de plates-formes communes d'ici à la fin de la décennie, contre seulement trois pour l'instant (cinq avec celles mises en place avec d'autres constructeurs). A l'instar de la 207, qui partage 60 % de son prix de revient avec la Peugeot 1007 et les Citroën C2 et C3, les prochains véhicules lancés pourraient être développés plus rapidement et à moindre coût. Les économies d'échelle indispensables à la compétitivité du groupe passent aussi par un renforcement des coopérations existantes. Par exemple, Peugeot va rentrer sur le segment des 4x4, puisque, à partir de 2007, son partenaire Mitsubishi lui livrera 30.000 véhicules de ce type via une plate-forme commune. Sans le japonais, l'investissement pour de si petits volumes n'aurait pas été rentable.
5 Redéfinir le périmètre du groupe
Outre son activité automobile, PSA exerce une activité de financement des réseaux commerciaux et des clients de la marque et détient une filiale spécialisée dans le transport et la logistique (Gefco). Il est aussi, et surtout, l'actionnaire de référence de l'équipementier Faurecia (71,3 % du capital). Nombreux sont les investisseurs qui pensent que le constructeur doit reconsidérer sa position dans le deuxième équipementier européen au regard de ses piètres performances financières.
Non seulement les pertes de Faurecia pèsent sur les comptes de sa maison mère (320 millions d'euros en 2005 et 107 millions sur le premier semestre 2006), mais le scandale lié à une affaire de corruption en Allemagne, qui a poussé à la démission Pierre Lévi, le président de Faurecia, a rejailli sur le groupe. Dans l'immédiat, le constructeur n'a pas d'autre choix que d'aider au redressement de Faurecia. Condition préalable à une éventuelle cession de sa participation, laquelle ne pourra pas se faire au-dessous de 83 euros par action si la famille Peugeot veut réaliser une plus-value.
NOTRE CONSEIL
PRUDENCE
Le potentiel de l'action nous paraît dans l'immédiat limité, ce qui nous amène à réduire notre objectif à 50 euros. Seul un repli sous 40 euros permettrait d'acheter, à titre spéculatif (code : UG ; Comp. A, SRD).