Les déficiences de la justice mexicaine
Par Patrice Gouy (RFI)
Au Mexique, la société civile s’interroge sur les déficiences de la justice. Un documentaire qui filme l’intégralité d’un procès, étale au grand jour les pratiques de la police et du Parquet qui s’entendent pour mettre les gens en prison sans preuves réelles. Le cas de la Française Florence Cassez en est une bonne illustration.
Lorsqu’en juillet 2000 l’opposition remporte les élections, elle promet une grande réforme de la justice : 11 ans plus tard, cette réforme n’avance pas vite. La diffusion du documentaire Présumé coupable de l’avocat-cinéaste Roberto Hernandez, juriste du CIDE (le Science Po mexicain) a dévoilé au grand public le fonctionnement de la justice mexicaine. Selon lui, « sur les 13 millions de délits qui se commettent annuellement au Mexique 98% restent impunis quant aux 2 % qui restent, la police ne cherche pas les véritables coupables ».
Justice de Classe
La corruption explique en grande partie pourquoi des gens qui devraient être en prison peuvent y échapper. Il y a de larges portes de sortie avant que ne commence l’instruction, mais une fois que l’on est entré dans la moulinette du Ministère public et que celui-ci a décidé d’accuser le prévenu devant un juge, l’engrenage peut être terrible. Dans 93 % des cas, apprend-on dans Présumé Coupable, le Ministère public agit sans preuves matérielles avec des témoignages douteux. Résultat : les prisons sont pleines à craquer de pauvres gens condamnés à des peines très lourdes pour des délits mineurs. Ceux qui mettent vraiment en danger la société ne touchent que rarement le sol de la prison.
Des procès oraux et contradictoires
« La justice actuelle est proche du système napoléonien du XIXe siècle », explique le juriste international Miguel Sarre, professeur de droit pénal à l’université : « très inquisiteur, le Parquet a tous les avantages et les aveux qui sont obtenus lors de l’instruction sont utilisés, et incorporés au procès sans aucune possibilité de contestation. La mécanique ordinaire des procès au Mexique viole fréquemment les garanties constitutionnelles ». C’est pourquoi les juristes et le gouvernement de Felipe Calderón veulent adopter, d’ici 2018, un système accusatoire avec des procès oraux et contradictoires. Une réforme qui passe par une lutte contre toutes les mauvaises habitudes : « Pour combattre la corruption, a déclaré Felipe Calderon, il ne faut pas oublier que les escaliers doivent être balayés de haut en bas. Nous faisons actuellement un effort de dépuration dans tous les corps policiers et des ministères publics en commençant par l’ordre fédéral, mais nous voulons le faire au niveau local et municipal parce que nous sommes tout à fait conscients que sans une police fiable et respectable, la lutte contre l’insécurité ne portera pas ses fruits. Il nous faut une police et un ministère public honnêtes, professionnels et bien équipés ».
Fabrication de coupable
Le cas de la Française Florence Cassez est symptômatique de cet état déplorable de la justice. Florence Cassez, en prison depuis 5 ans, a été condamnée à 60 ans pour enlèvements. Pour l’accuser, le chef de la police a fabriqué une fausse arrestation, 24 heures après le début de sa détention, devant les caméras des principales chaines de télévision. Une médiatisation qui a profondément affecté le contenu des décisions judiciaires. Pour ne pas aller à l’encontre d’une opinion publique convaincue de sa culpabilité, les juges n’ont pas pris leur décision conformément à la loi. Pour Miguel Sarre, professeur de droit pénal « ce cas illustre parfaitement les déficiences de la justice. Il permet par exemple de comprendre toute l’importance du principe d’immédiateté. Les juges doivent être les premiers à recevoir les preuves. Or dans le cas de Florence Cassez, les preuves ont perdu toute crédibilité puisqu’elles ont été fabriquées pour les télévisions. Le Ministère public a donc pu, sans problème, manipuler les témoins. Dans un procès oral et contradictoire, cela ne pourrait pas se passer. Les témoins seraient isolés et sans possibilité d’être conseillés sur ce qu’ils doivent déclarer. La détention aurait donc été illégale car il n’y avait pas flagrant délit. Avec le flagrant délit, les preuves sont automatiques, les personnes sont confondues. Elles sont prises la main dans le sac. Or, dans le cas de Florence Cassez, il n’y a ni les mains, ni le sac. »
Pour la Française, dont le cas sert de référence aux discussions actuelles sur la justice, l’espoir viendrait de la Cour Suprême qui a accepté de réviser la constitutionnalité de son procès. La cour se prononcera sur le respect ou non de la Constitution, et n’aura malheureusement pas accès au fond du problème.