« C’est justement le défi »
Christian Streiff, patron de PSA Peugeot Citroën, donne sa vision des voitures
écologiques attirantes et pourquoi il ne veut pas accorder de bonus CO2 aux concurrents
allemands pour leurs voitures lourdes.
DIE ZEIT : Monsieur Streiff, la Commission européenne exige que, déjà dans quatre ans
et demi, tous les véhicules neufs n’émettent en moyenne pas plus de 120 grammes de
CO2 au kilomètre. Audi, Mercedes, Porsche et les autres disent que cela n’est pas
faisable. Est-ce vrai ?
Christian Streiff : On peut tout à fait atteindre cet objectif. Nous nous améliorons tous
sans cesse dans ce domaine car nous prenons au sérieux les défis écologiques. Mais le
délai d’ici à 2012 est court, en tout cas si on veut que nous trouvions, en tant
qu’industrie, une solution de consensus.
ZEIT : Les constructeurs automobiles euro péens ne sont donc pas d’accords. Est-ce que
vos marques Peugeot et Citroën peuvent atteindre ces objectifs d’ici à 2012 ?
C. Streiff : Cela devrait être nettement plus facile pour elles.
ZEIT : Mais vous êtes solidaire de vos collègues du secteur automobile qui n’ont pas
autant avancé.
C. Streiff : Nous voulons essayer de résoudre ce problè me ensemble en tant qu’industrie,
oui.
ZEIT : Quelle était dernièrement la moyenne de votre groupe en émissions de CO2 ?
C. Streiff : En France nous étions en 2006 à 140 grammes au kilomètre d’après les
calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
ZEIT : Les constructeurs allemands ainsi que Toyota sont souvent bien au-dessus.
C. Streiff : Notre niveau d’émissions de CO2 fait que nous sommes leader dans ce
domaine. L’année dernière nous avons vendu un demi- million de voitures émettant moins
de 120 grammes. Personne d’autre que nous n’a réussi cela.
ZEIT : Vous êtes tout à fait dans la ligne de l’Union Européenne.
C. Streiff : Nous avons écrit noir sur blanc dans notre plan stratégique que nous voulons
rester le constructeur leader au niveau écologique. D’ici à 2010 nous voulons réduire la
consommation de l’ensemble des gammes Peugeot et Citroën de 10 grammes
supplémentaires de CO2 par kilomètre.
ZEIT : Alors vous seriez déjà à l’objectif, le reste devant venir des biocarburants selon la
commission européenne. Pourquoi ne faites-vous pas plus de bruit à ce sujet ?
C. Streiff : Vous avez raison en ce qui nous concerne, mais l’industrie entière a besoin de
plus de temps.
ZEIT : Quand c’est une question de délai, vous vous montrez compréhensif envers les
constructeurs allemands. Mais vous ne voulez pas accorder à vos concurrents allemands
des niveaux d’émission en CO2 plus élevés pour leurs véhicules lourds et puissants. Estce
que c’est là que s’arrête la solidarité ?
C. Streiff : Les gouvernements d’Europe ne peut pas accepter que les riches nuisent plus
à l’environnement que les personnes moins aisées. Ce n’est pas seulement une question
de technologie mais aussi un problème de société. Nous disons : un gramme de CO2 doit
être un gramme pour tous les citoyens. Il ne doit pas y avoir de discrimination.
ZEIT : On a du mal à le croire. Un groupe automobile à la pointe du combat pour la
justice sociale ?
C. Streiff : Nous voulons être le constructeur automobile le plus compétitif et le plus
respectueux de l’environnement en Europe. Et nous voulons que la mobilité reste
accessible aux citoyens. C’est pourquoi nous continuerons à rendre nos véhicules
respectueux de l’environnement mais en même temps nous veillerons à ce qu’ils ne
soient pas trop chers. Et nous étudions au sein d’un institut nous appartenant quelle est
l’utilisation faite de nos véhicules.
ZEIT : Quel est l’objectif des chercheurs ?
C. Streiff : Ils doivent trouver comment on peut concilier la ville et la circulation
automobile, par exemple en se partageant une voiture ou en louant un véhicule pour une
ou deux heures. Comme c’est le cas aujourd’hui pour les vélos.
ZEIT : Votre entreprise a été la première au début de l’année 2000 à introduire le filtre à
partic ules pour les moteurs diesel. Cela a donné à Peugeot une image de constructeur
respectueux de l’environnement. Mais entretemps la concurrence s’est mise à votre
niveau.
C. Streiff : C’est pourquoi nous travaillons à la conception de moteurs diesel qui
consomment encore moins et sont encore plus compétitifs.
ZEIT : Et pourtant votre image de pionnier de l’environnement, c’est du passé.
C. Streiff : Attendez, sans le diesel propre le bilan de CO2 serait aujourd’hui nettement
plus mauvais, cela les gens ne l’ont pas oublié. Le filtre a contribué de façon décisive en
Europe à l’avancée du moteur diesel et ainsi permis de faire baisser la consommation
moyenne d’environ 20 pour cent.
ZEIT : Donc vous continuez à miser sur une image écologique ?
C. Streiff : L’exigence écologique est, tout comme le diesel pour les moteurs, un point
essentiel de notre stratégie. Cela constitue pour nous un avantage concurrentiel.
ZEIT : Chez BMW par exemple, on dit que les voitures doivent être avant tout
attractives. Selon vos collègues allemands de Wolfsburg, d’Ingolstadt ou de Stuttgart,
ceux qui mettent trop l’accent sur l’écologie n’ont pas de succès auprès des acheteurs.
L’exemple en est l’échec des premières voitures allemandes consommant trois litres
comme celles de VW et Audi.
C. Streiff : Les voitures doivent être en même temps attractives et écologiques. C’est
justement le défi. Nous ne voulons pas simplement lancer sur le marché une voiture
écologique en marge de la gamme, cela ne sert à rien. Il faut que nos modèles les plus
vendus soient les plus respectueux possible de l’environnement. Prenez notre nouvelle
Peugeot 308.
ZEIT : La nouvelle concurrente de la VW Golf et de l’Opel Astra.
C. Streiff : Le milieu de gamme de la Peugeot 308 est doté d’un moteur diesel d’1,6 litres
de cylindrée. Et cette voiture émet exactement 120 grammes de CO2 au kilomètre. Vous
pouvez acheter dès maintenant cette 308 en Allemagne.
ZEIT : Et quel supplément le client doit-il payer pour un meilleur respect de
l’environnement ?
C. Streiff : Cette voiture se situe exactement au milieu de notre offre en puissance
moteur, niveau d’équipement et aussi au niveau prix.
ZEIT : Donc ce n’est pas un modèle spécial pour les écologistes comme le propose
Volkswagen par exemple avec ses modèles « blue motion » ?
C. Streiff : Il n’y aura pas chez nous de « blue 308 » ou de Citroën « blue C4 ». Et
surtout pas en majorant le prix. Il y aura une offre large de modèles basse
consommation pour les marques Peugeot et Citroën. Le citoyen lambda doit, après avoir
acheté une de nos voitures, pouvoir dormir sur ses deux oreilles en matière d’écologie
sans avoir à supporter des coûts trop élevés.
ZEIT : Toyota a rencontré un grand succès avec les moteurs hybrides. Et vous ?
C. Streiff : Nous voulons vendre en 2011 un million de ce qu’on appelle les microhybrides.
La technologie seule permet d’économiser sept à huit pour cent de carburant.
ZEIT : Le micro-hybride est avant tout une fonction marche-arrêt automatique qui coupe
l’allumage moteur quand le véhicule est arrêté. Chez BMW le client peut déjà l’avoir sur
presque tous les modèles.
C. Streiff : Nous lancerons également les étapes suivantes qui permettent en plus de
récupérer l’énergie du freinage. Et enfin la combinaison de moteurs diesel et électrique.
Au bout du compte nous économiserons 30 pour cent d’énergie. Nous consacrons les
trois quart de nos dépenses en recherche et développement à ce domaine. Nous
coopérons également avec d’autres entreprises comme par exemple Ford dans le
domaine des moteurs diesel et le groupe pétrolier Total afin de développer des huiles
spéciales.
ZEIT : Contrairement aux concurrents allemands, le management de PSA Peugeot
Citroën mise depuis longtemps sur les coopérations plutôt que sur les fusions. Par
exemple vous construisez avec BMW des petits moteurs essence qui équipent entre
autres la Mini. Daimler cherche aussi encore des partenaires pour la prochaine génération
de sa Classe A. Est-ce que cela pourrait vous intéresser ?
C. Streiff : Les coopérations actuelles fonctionnent remarquablement bien. BMW est plus
fort au niveau de la technologie mais nous avons plus d’expérience en réduction de
coûts. Cela a étonné le constructeur Munichois.
ZEIT : Et comment cela peut-il s’accorder avec Mercedes ?
C. Streiff : Je ne peux rien dire de concret à ce sujet. Mais d’une manière générale, je ne
souhaite pas augmenter le nombre de nos partenaires.
ZEIT : Malgré tout, est-ce qu’on peut envisager que Peugeot, BMW et Mercedes
développent conjointement la prochaine génération de petits moteurs essence ?
C. Streiff : Je ne l’excluerais pas.